Le divorce pour discorde, ou Tatlīq li-shiqaq, est un mécanisme juridique prévu par la Moudawana (Code de la Famille) marocaine qui accorde aux deux époux le droit de demander la dissolution du lien conjugal. Ce type de divorce peut être initié même sans motif explicite, dès lors qu’il devient impossible de poursuivre la relation conjugale. Il représente une nouveauté majeure de l’actuelle Moudawana, n’existant pas dans l’ancien Code du statut personnel.
Dans ce processus, le juge joue un rôle central, non seulement dans la gestion des litiges familiaux mais aussi dans la dissolution du lien matrimonial. Il est crucial de souligner que le divorce, en particulier en présence d’enfants, est une démarche grave, la séparation des parents étant souvent difficile pour les enfants. Les sources mettent en garde contre l’augmentation rapide des taux de divorce dans les tribunaux, une tendance « qui ne présage rien de bon », et rappellent que la patience est le fondement essentiel de la relation conjugale. Le Tatlīq li-shiqaq est décrit comme une « arme à double tranchant » pouvant être utilisée à bon ou à mauvais escient.
Cet article détaillera les procédures de demande de ce type de divorce, le rôle crucial du juge tout au long du processus, et les diverses compensations financières (mustahaqat) auxquelles les époux et les enfants peuvent prétendre, en fonction des circonstances spécifiques de chaque cas.
I. Les Procédures d’Initiation du Divorce pour Discorde
Le divorce pour discorde, ou Tatlīq li-shiqaq, est un droit accordé par la loi marocaine à chaque époux, qu’il s’agisse du mari ou de la femme, de demander au tribunal de prononcer le divorce de l’autre partenaire, et ce, même sans motif explicite. La personne qui intente cette action n’est pas tenue de justifier les raisons de sa demande de dissolution du mariage.
Pour initier cette procédure, il est nécessaire de déposer une demande formelle :
- Dépôt de la demande (Article introductif) :
- La demande doit être soumise au président du tribunal de première instance, section du Familienrecht.
- Le contenu de la demande doit être précis et détaillé. Il doit inclure les noms de famille et prénoms des deux époux, leur date de naissance, leur numéro de carte d’identité nationale, et leurs adresses. Des informations sur l’acte de mariage, y compris la section de documentation du tribunal où il est enregistré, sont également requises. Si des enfants sont présents, la demande doit spécifier leur nombre, leur âge, leur état de santé et leur situation scolaire. Enfin, la demande doit clairement indiquer l’impossibilité de poursuivre la relation conjugale et se conclure par une demande d’acceptation du président sur la forme et une demande de jugement de divorce pour discorde.
- Documents à joindre : Pour que le dossier soit complet, il doit être accompagné d’une copie certifiée conforme de l’acte de mariage, d’une copie de la carte d’identité nationale, et des actes de naissance des enfants si le couple en a. Si c’est le mari qui initie la procédure, il doit également fournir des preuves de ses revenus (attestation de salaire s’il est employé) et de ses obligations financières (comme des prêts ou un soutien financier à ses parents ou sœurs), ainsi que les documents d’identité des enfants et leurs certificats de scolarité s’ils sont concernés par la pension alimentaire.
- Les frais de dépôt de ce dossier à la greffe du tribunal s’élèvent à 160 dirhams.
- Enregistrement de la demande et convocation :
- Une fois rédigée, la demande est enregistrée au tribunal.
- Des convocations sont ensuite envoyées aux deux parties afin qu’elles puissent assister à une première séance de conciliation, dont la date est préalablement fixée. Cette première session est spécifiquement dédiée à la tentative de conciliation entre les époux.
- Recommandation d’un avocat :
- Bien que le Code de la Famille ne rende pas obligatoire la présence d’un avocat pour ce type de procédure, il est fortement conseillé de recourir à ses services. La raison principale est la connaissance approfondie que possède l’avocat des règles et procédures légales, ce qui peut éviter aux parties de subir des préjudices ou des pertes financières résultant d’une méconnaissance de la procédure.
II. Le Rôle du Juge et le Déroulement des Audiences
Le processus du divorce pour discorde (Tatlīq li-shiqaq) confère au juge un rôle prépondérant dans la gestion des litiges familiaux et la dissolution du lien matrimonial. Ce rôle se manifeste à travers plusieurs étapes cruciales :
- Tentatives de conciliation :
- La première séance d’audience est systématiquement consacrée à la tentative de conciliation entre les époux.
- Le tribunal privilégie toujours la réconciliation.
- Si le couple a des enfants, la procédure prévoit généralement deux sessions de conciliation, avec un délai d’au moins 30 jours entre elles, afin de maximiser les chances de réconciliation.
- Détermination de la partie responsable (le cas échéant) :
- Si les efforts de conciliation échouent et que les parties sont fermement résolues à divorcer, le tribunal détermine quelle partie est responsable de la dissolution de la relation conjugale. Cela inclut l’examen de qui a initié la demande de divorce, que ce soit le mari ou la femme.
- Facteurs influençant la durée et le jugement :
- La durée maximale pour rendre un jugement dans le cadre d’un divorce pour discorde est de six mois selon la Moudawana. Cependant, la durée réelle peut être plus courte, allant de deux à cinq mois.
- Le nombre de sessions d’audience n’est pas fixe. Il peut varier et la durée de la procédure peut être prolongée par l’absence de l’une des parties aux audiences, le tribunal cherchant toujours la conciliation.
- Le juge prend en compte une multitude de critères pour évaluer et déterminer les compensations financières dues en cas de divorce. Ces critères incluent la durée du mariage, les revenus des deux époux, leur statut social (leur environnement social de croissance), et la présence et le nombre d’enfants. La détermination de la partie jugée responsable ou de celle qui a demandé le divorce est également un facteur clé influençant l’attribution des droits financiers.
III. Les Compensations Financières (Mustahaqat)
Le Tatlīq li-shiqaq implique le versement de diverses compensations financières, dont le montant et la nature varient en fonction de la partie à l’origine de la demande de divorce et des circonstances spécifiques du couple. Le juge joue un rôle crucial dans la détermination de ces montants en se basant sur plusieurs critères.
- Critères de Détermination des Compensations : Le tribunal évalue les compensations en tenant compte de :
- La durée du mariage.
- Les revenus des deux époux.
- Leur statut social (l’environnement social dans lequel ils ont grandi).
- La présence et le nombre d’enfants.
- La détermination de la partie responsable de la rupture de la relation conjugale ou de celle qui a demandé le divorce.
- Compensations pour l’Épouse (si le mari est à l’origine de la demande de divorce pour discorde) : Si le mari initie la procédure de divorce pour discorde, l’épouse a droit aux compensations suivantes :
- La Mut’a (تعويض المتعة) : Il s’agit d’une compensation financière octroyée à l’épouse pour le préjudice subi suite au divorce. Le montant varie considérablement (il peut être de 10 000, 20 000, 30 000 dirhams, voire plus) et représente une part importante des dépenses liées au divorce. Le juge prend en compte la durée du mariage, les revenus des deux époux, leur statut social, et la présence d’enfants pour fixer ce montant.
- Les droits restants du Sadaq (Dot) et le Sadaq différé (مؤخر الصداق), si applicables.
- Les **frais de logement pendant la période de Idda (سكن العدة)** : L’épouse a droit à une compensation pour son logement durant la période deIdda, qui est généralement de trois mois. Ce montant couvre les frais de loyer.
- L’indemnité de garde (Ajrat al-Hadana – أجرة الحضانة) : Si le couple a des enfants, l’épouse, en tant que gardienne des enfants, reçoit une somme mensuelle pour la prise en charge de la garde. Ce montant est distinct de la pension alimentaire des enfants.
- Compensations pour l’Épouse (si la femme est à l’origine de la demande de divorce pour discorde) : Si c’est la femme qui dépose la demande de divorce pour discorde, elle n’a pas droit à la Mut’a, car elle est considérée comme ayant choisi la séparation. Elle reçoit uniquement :
- Les frais de logement pendant la période de `Idda.
- L’indemnité de garde (Ajrat al-Hadana), si des enfants sont présents.
- Les droits restants du Sadaq et le Sadaq différé, si applicables.
- Compensations pour les Enfants : Les enfants ont droit à plusieurs compensations, quelle que soit la partie à l’origine du divorce :
- La Pension Alimentaire (Nafaqa – النفقة) : Elle couvre la nourriture, l’habillement, les frais médicaux et les frais de scolarité des enfants. Le tribunal s’assure que les enfants maintiennent, dans la mesure du possible, le même niveau de vie qu’avant le divorce (par exemple, s’ils étaient inscrits dans l’enseignement privé).
- Les frais de logement des enfants (تكاليف سكن الأبناء) : C’est une obligation distincte de la pension alimentaire. Le père doit soit fournir un logement adéquat pour les enfants, soit le tribunal fixera un montant pour le loyer de leur résidence.
- Les frais des fêtes (Tawsiyat al-Ayyad – توسعة الأعياد) : Un montant annuel est accordé pour les dépenses liées aux fêtes religieuses (comme l’Aïd al-Adha et l’Aïd al-Fitr).
- Obligations et Droits Spécifiques du Mari :
- Dépôt des Compensations : Si le mari a initié le divorce, il doit déposer l’intégralité des compensations financières (pour l’épouse et les enfants) au fonds du tribunal (Caisse du Tribunal) auprès du greffe dans un délai de 30 jours.
- Conséquence du Non-Dépôt : Le non-dépôt de ces sommes dans le délai imparti entraîne la considération que le mari a renoncé à sa demande de divorce, et la relation conjugale est rétablie. Le tribunal ne rendra pas de jugement de divorce avant que ces montants ne soient déposés.
- Droit du Mari à une Compensation : Si la femme a demandé le divorce pour discorde sans une raison valable qui convainc le tribunal de son préjudice, le mari a également le droit de demander une compensation s’il prouve qu’il ne souhaitait pas la dissolution du mariage et qu’il a subi des pertes financières (par exemple, frais de mariage, cadeaux).
- Droit de Visite des Enfants : Le père a un droit de visite pour ses enfants, dont les modalités sont généralement fixées par le tribunal (par exemple, le dimanche de 9h à 18h). Cependant, les enfants doivent habituellement passer la nuit avec la mère, qui est la gardienne.
- Ajustement de la Pension Alimentaire : Si la situation financière du père change (par exemple, perte d’emploi), il a le droit de demander au tribunal une
IV. Droits Post-Divorce et Considérations Importantes
Une fois la décision de divorce prononcée ou le processus bien avancé, certains droits et obligations subsistent, et des aspects cruciaux de la procédure méritent d’être soulignés pour les parties impliquées.
- Droits du Mari après le Divorce :
- Droit de Visite des Enfants : Le père conserve le droit de visite de ses enfants. Le tribunal fixe généralement les modalités de ce droit, par exemple, le dimanche de 9h à 18h. Il est important de noter que les enfants doivent généralement passer la nuit avec leur mère, qui est la gardienne.
- Droit à l’Ajustement de la Pension Alimentaire : Si la situation financière du père change de manière significative après le divorce (par exemple, en cas de perte d’emploi), il a le droit de demander au tribunal une révision à la baisse du montant de la pension alimentaire des enfants (Nafaqa).
- Possibilité de Demander Compensation : Si c’est la femme qui a initié la demande de divorce pour discorde et que le tribunal estime qu’elle n’avait pas de raison valable prouvant qu’elle subissait un préjudice, le mari a également le droit de demander une compensation. Cette compensation peut couvrir les pertes financières qu’il a subies, notamment les frais de mariage ou les cadeaux, s’il peut prouver qu’il ne souhaitait pas la dissolution du mariage et qu’il a subi des pertes.
- Conséquences Cruciales du Processus :
- Obligation de Dépôt des Compensations : Si le mari a initié la demande de divorce pour discorde, il est tenu de déposer l’intégralité des compensations financières (pour l’épouse et les enfants) auprès du fonds du tribunal (Caisse du Tribunal) dans un délai de 30 jours.
- Conséquence du Non-Dépôt : Le non-dépôt de ces sommes dans le délai imparti a une conséquence majeure : le mari est considéré comme ayant renoncé à sa demande de divorce, et la relation conjugale est alors rétablie. Le tribunal ne rendra pas de jugement de divorce tant que ces montants n’auront pas été déposés.
- Conseils et Réflexions Générales :
- La Nature « à Double Tranchant » du Tatlīq li-shiqaq : Cette procédure est qualifiée de « double tranchant » (sileh hadayn). Elle peut être utilisée de manière positive pour résoudre des situations matrimoniales insoutenables, mais aussi de manière négative.
- L’Importance du Recours à un Avocat : Il est fortement recommandé aux citoyens de se faire assister par un avocat dans ces procédures. L’avocat possède une connaissance approfondie des règles et procédures qui peuvent garantir que chaque partie bénéficie de ses droits et évite des préjudices ou des pertes dus à une méconnaissance des lois.
- Le Rôle Fondamental de la Patience dans le Mariage : Plusieurs sources soulignent que le fondement du mariage est la patience (as-sabR). Il est conseillé aux couples de faire preuve de patience et de considération mutuelle, notamment pour le bien-être des enfants.
- L’Augmentation des Taux de Divorce : Il est mentionné avec préoccupation que la fréquence des divorces devant les tribunaux a atteint une « vitesse fulgurante » (watirat sarukhiya) et que les statistiques de divorce ne sont pas « de bon augure » (laa tabushiru bi-al-khayr).
En conclusion, bien que le Tatlīq li-shiqaq offre une voie de dissolution matrimoniale en cas de discorde, il s’agit d’un processus encadré par des règles strictes qui visent à protéger les droits de toutes les parties, en particulier ceux des enfants, et il est conseillé de bien en comprendre toutes les implications.
En guise de conclusion, le Tatlīq li-shiqaq (divorce pour discorde) est une voie légale essentielle offerte par le Code de la Famille marocain permettant la dissolution du lien conjugal lorsque la poursuite de la relation est devenue impossible en raison de profonds désaccords. Ce droit est accessible à chacun des époux, même sans avoir à justifier de motifs spécifiques de discorde lors du dépôt initial de la demande.
La procédure est encadrée par un processus judiciaire rigoureux qui débute par la soumission d’une requête détaillée au tribunal de la famille. Le rôle du juge y est central, notamment à travers des tentatives de conciliation obligatoires, considérées comme une étape fondamentale avant toute décision de divorce, avec une attention particulière portée au bien-être des enfants. La durée maximale du jugement est de six mois, bien que le nombre de séances ne soit pas fixe et puisse varier en fonction de l’assiduité des parties et de la complexité du dossier.
Les compensations financières (Mustahaqat) constituent un pilier de cette procédure, visant à protéger les droits de l’épouse et des enfants. Leur montant est déterminé par le juge en fonction de critères tels que la durée du mariage, les revenus des époux, leur statut social et la présence d’enfants. Il est crucial de noter que le mari qui initie la demande de divorce pour discorde doit déposer l’intégralité des compensations financières au fonds du tribunal dans un délai de 30 jours ; le non-respect de cette obligation est considéré comme un désistement de sa part, entraînant le rétablissement de la relation conjugale. Si c’est la femme qui dépose la demande sans motif valable convainquant le tribunal de son préjudice, elle n’a pas droit à la Mut’a, mais le mari peut, sous certaines conditions, demander une compensation pour les pertes subies. Pour les enfants, des droits clairs sont établis concernant la pension alimentaire (Nafaqa), les frais de logement et les frais de fêtes.
En somme, le Tatlīq li-shiqaq est décrit comme une « arme à double tranchant » (sileh hadayn), offrant une solution nécessaire mais dont les implications sont profondes. Face à la complexité de ces procédures et pour garantir la protection de leurs droits, il est fortement recommandé aux citoyens de se faire assister par un avocat.